LES prés fleuris de la Lune... Les troupeaux de Mars et leurs bergers noirs...
Les savants de l’EPI demandèrent des explications. Eléa était allée sur la Lune, en voyage d’agrément avec Païkan. Elle put la leur montrer. Ils virent les « prés fleuris », et les forêts d’arbres légers, fragiles, aux minces troncs interminables, s’épanouissant en épis ou en touffes qui les faisaient ressembler à d’immenses graminées.
Ils virent Eléa et Païkan, descendus du vaisseau qui les avait amenés avec d’autres voyageurs, se jouer comme des enfants de la faible pesanteur. Ils prenaient leur élan en quelques pas de géant, sautaient ensemble en se tenant par la main, franchissaient les rivières d’un seul bond léger, s’élevaient au sommet des collines ou au-dessus des arbres, se posaient sur leurs épis couverts de grains de pollen gros comme des oranges, s’ébrouaient pour les faire s’envoler en images multicolores, se laissaient retomber en une chute de flocons.
Tous les voyageurs faisaient pareil, et le vaisseau semblait avoir débarqué une cargaison de papillons fugaces qui s’éloignaient de lui dans toutes les directions, se posant par-ci, par-là, dans la campagne verte, sous le ciel d’un bleu profond.
Malgré le peu d’effort qu’ils nécessitaient, ces jeux cessaient très vite, car l’air raréfié amenait l’essoufflement. Les voyageurs apaisaient leur cœur en s’asseyant au bord des ruisseaux ou en marchant vers l’horizon qui paraissait toujours si proche, si facile à atteindre, et qui fuyait comme tout horizon qui se respecte. Mais sa proximité et sa courbure visible procuraient aux promeneurs une sensation que les dimensions de la Terre ne leur permettaient pas d’éprouver : la sensation à la fois excitante et effrayante de marcher sur une boule perdue dans l’infini.
Les savants ne virent nulle part, dans ces images, la trace d’aucun cratère, ni grand, ni petit...
Eléa ne connaissait pas Mars, où ne s’étaient posés jusqu’alors que des vaisseaux d’explorateurs ou de militaires. Mais elle avait vu des » bergers noirs ». Et elle en avait reconnu un, ici même, à l’EPI !
La première fois qu’elle avait rencontré Shanga l’Africain, elle avait manifesté sa surprise, et elle l’avait désigné par des mots dont la Traductrice avait donné l’interprétation suivante : « Le berger venu de la 9e Planète ». Il fallut un long dialogue pour comprendre, d’abord, l’habitude gonda de compter les planètes non à partir du Soleil, mais à partir de l’extérieur du système solaire. Ensuite, que ledit système ne comprenait pas pour eux 9 planètes mais 12, soit 3 planètes au-delà de la maléfique et déjà si lointaine Pluton.
Cette nouvelle jeta les astronomes du monde entier dans des abîmes de calculs, de vaines observations, et de discussions aigres. Que ces planètes existassent ou non, la 9e, en tout cas dans l’esprit d’Eléa, était bien Mars. Elle affirma qu’elle était habitée par une race d’hommes à la peau noire, dont les vaisseaux gondas et énisors avaient ramené quelques familles. Avant cela, il n’existait sur Terre aucun homme de couleur noire.
Shanga fut bouleversé, et avec lui tous les Noirs du monde, qui connurent rapidement la nouvelle. Race infortunée, son errance n’avait donc pas commencé avec les marchands d’esclaves ! Déjà, au fond des temps, les ancêtres des malheureux arrachés à l’Afrique avaient eux-mêmes été arrachés à leur patrie du ciel. Quand donc s’achèveraient leurs malheurs ? Les Noirs américains se rassemblaient dans les églises et chantaient. « Seigneur, fais cesser mes tribulations ! Seigneur, ramène-moi dans ma patrie céleste. » Une nouvelle nostalgie naissait dans le grand cœur collectif de la race noire.